Découvrir le travail de Mami Kiyoshi pour la première fois, c’est se trouver confrontés à un univers particulier dans lequel se mêlent curieusement la proximité des sujets traités et le sentiment de mise à distance. Mais à quoi donc tient cette impression de familiarité étrangère ou d’étrangeté familière ?
Indéniablement, les sujets abordés – scènes de vie quotidienne et portraits – sont immédiatement accessibles. Ils renvoient, en effet, à des formes héritières de la peinture et récurrentes dans les pratiques photographiques, du XIXe siècle à nos jours*. Toutefois, Mami Kiyoshi, dans le traitement photographique de ces genres, déploie une écriture singulière dont les principes (la mise en scène des modèles dans leur univers entourés des objets qui les dépeignent et les distinguent, la saturation des couleurs et l’artificialité revendiquée de ces aménagements du réel) lui permettent de se positionner au regard de ses prédécesseurs. C’est particulièrement le cas dans la photographie de la série New reading Portraits qui, revisitant la peinture de Jan van Eyck Les Époux Arnolfini, accentue la symétrie de sa composition et redouble par les objets le masculin et le féminin.
Plus largement dans la photographie de Mami Kiyoshi, les objets fonctionnent comme des éléments signifiants de la personnalité et de l’identité de leurs possesseurs et non seulement comme des accessoires ou des composantes d’un décor recréé. Organisés de manière à structurer ou à ponctuer l’espace représenté, ils permettent aussi de l’envahir dans certaines photographies. Il en résulte alors le sentiment qu’ils font jeu égal avec leurs propriétaires.
Est-ce ce trop-plein d’objets qui procure la sensation d’étrangeté évoquée ? A moins que ce soit l’affirmation du caractère artificiel de ces pseudo-réalités, notamment dans la série Tropical family dans laquelle le vertissime lierre encadre les protagonistes d’un vert trop vif pour être réel ? Ou encore la fixité des modèles dans la pose qui, comme aux premiers temps de la photographie, les fait paraître plus mannequins qu’humains ?
S’il est à noter que ces derniers regardent presque toujours l’appareil photo – et, de fait, le spectateur – il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas de continuité entre les espaces. La manière qu’a Mami Kiyoshi de se saisir du monde, dans un entre-deux de facticité et de réalité, instaure immanquablement une mise à distance entre le spectateur et ses images. Car, pour séduisantes qu’elles sont dans leur réalité plastique, elles apparaissent également troublantes. Troublantes car elles montrent un quotidien qui n’en est plus un, troublantes aussi car elles transforment les personnes en personnages, au sens étymologique du terme, en privilégiant les univers aux identités propres. Je est un lieu, je est un ensemble d’objets.
Faux instantanés narratifs et poétiques, les photographies de Mami Kiyoshi ne renvoient alors plus au spectateur son image mais lui ouvre bel et bien les portes d’un ailleurs…
*Dans l’exposition, les œuvres de Mami Kiyoshi sont mises en présence d’albumines du XIXe siècle, de l’atelier de Felice Beato et de ses suiveurs, images spectaculaires peintes par les coloristes d’estampes.